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Plaintes en diffamation contre les dénonciatrices de violences sexuelles : vous ne réussirez pas à nous bâillonner !

Tribune. Six militantes féministes sont poursuivies par Christophe Girard (1) pour diffamation et injure publique pour avoir dénoncé publiquement ses liens et son soutien à Gabriel Matzneff, écrivain pédocriminel dont les crimes ont été dénoncés par Vanessa Springora. Le procès se tiendra les 14 et 15 mars prochains à 13h30 à la 17ème chambre du tribunal judiciaire de Paris. 


Le 22 février, le réalisateur Jacques Doillon est lui aussi venu grossir les rangs des hommes accusés de violences sexuelles ayant décidé d’user du bâillon judiciaire de la plainte en diffamation, en annonçant son intention de porter plainte contre Judith Godrèche, comme mesure de rétorsion à sa parole courageuse. Il emboîte ainsi le pas d’Eric Brion, de PPDA, de Denis Baupin, de Pierre Joxe, de Nicolas Hulot, de Philippe Caubère, de Michel Piron, de Christophe Girard (à propos de ses liens avec Matzneff), mais également d’autres hommes dont les noms vous sont probablement inconnus. 


Pourtant, cette plainte a peu de chances de prospérer. Sandra Muller, autrice du #Balancetonporc ? Définitivement relaxée. Ariane Fornia, qui avait mis en cause Pierre Joxe ? Définitivement relaxée. Denis Baupin (qui ne s’était pas déplacé à l’audience) avait non seulement été débouté de sa plainte, mais il avait en plus été condamné à indemniser ses accusatrices pour procédure abusive. Nicolas Hulot avait quant à lui eu la lucidité de retirer sa plainte contre le magazine Ebdo après l’avoir déposée. 


On le voit, la jurisprudence tend à protéger la liberté d’expression des victimes de violences sexuelles et de celles, et parfois ceux, qui leur expriment publiquement leur soutien. Elle protège également la liberté d’informer des journalistes et organes de presse qui publient des enquêtes sérieuses.  


Des personnes dénonçant publiquement des violences sexuelles ont été relaxées car leurs prises de paroles participaient d’un débat d’intérêt général. La Cour de cassation donne raison à la Cour d’appel qui “a retenu que les propos litigieux contribuaient à un débat d'intérêt général sur la dénonciation de comportements à connotation sexuelle non consentis de certains hommes vis-à-vis des femmes et de nature à porter atteinte à leur dignité.(2) ou celle qui “a énoncé que, si les propos litigieux portaient atteinte à l'honneur ou à la considération de M. [M], ils s'inscrivaient dans un débat d'intérêt général consécutif à la libération de la parole des femmes à la suite de l'affaire (...)(3).


Mais alors, pourquoi s’obstinent-ils à porter plainte contre nous ? 


Pour nous faire taire ? Pourtant, cela ne fonctionne pas. Les victimes et leurs soutiens sont de plus en plus nombreux à braver l’interdit de parler qui pèse sur elles et eux. Pour laver leur réputation ? Avec un échec judiciaire ou une condamnation pour procédure abusive ? Drôle de stratégie. Pour dissuader des victimes qui n’auraient pas encore parlé ? Qu’elles sachent que nous sommes là, et que nous ferons bloc !

Pour nous épuiser ? Nous obliger à devoir, encore et encore, nous justifier, cette fois dans un contexte que nous n’avons pas choisi ? Nous assécher financièrement ? Certainement. 


La procédure en diffamation a ceci de particulier que le renvoi devant le tribunal correctionnel est quasi-automatique, l’office du ou de la juge d’instruction étant limité à un examen technique de la plainte (existence des propos litigieux, identité de la personne accusée, prescription). Contrairement aux plaintes pour des violences sexuelles qui, elles, font massivement l’objet de classements sans suite ou de non-lieu à poursuivre. 


Le procès en diffamation est donc bien souvent la seule opportunité, pour une victime, de faire entendre sa voix … mais depuis le banc des accusées. 

Mais combien faut-il de courage, d’endurance, d’obstination, de nuits sans sommeil, de santé dégradée et de violence symbolique de voir un violeur sur le banc des plaignants pour transformer la procédure-baillon en porte-voix.


Les procédures-baillons contre les victimes de violences sexuelles sont une signature française. Avant le délit de diffamation, c’est le délit de dénonciation calomnieuse qui était le plus souvent utilisé comme mesure de rétorsion contre les victimes. Une condamnation de la France par la CEDH a largement découragé les hommes accusés de violences sexuelles d’y recourir (4). Le délit de diffamation a alors pris le relais. 


Une première limitation à l’utilisation du délit de diffamation pour faire taire des victimes a été apportée par la Cour de cassation en 2016 (5) dans le cas de salarié.es ayant dénoncé du harcèlement (moral ou sexuel) auprès de leur employeur ou des organes chargés de veiller à l’application du Code du travail. La Cour considère qu’il s’agit d’une entrave trop importante à leur droit à dénoncer le harcèlement. 


Aller plus loin ? 


Aux Etats-Unis, des dispositions législatives ont rendu les procédures-baillons (SLAPP : strategic lawsuit against public participation) difficiles voire impossibles (6). Dans une trentaine d’états, il est possible de rejeter sur demande, en début de procédure, ce qui apparaît comme étant une procédure baillon. Adopter une telle mesure en France permettrait enfin de protéger les femmes victimes de violences sexuelles, les féministes qui les soutiennent, mais aussi tous les lanceurs et lanceuses d’alerte qui ont besoin d’une protection renforcée. C’est une nécessité alors que la directive européenne nouvellement votée le 27 février visant justement à protéger les journalistes et les militants des procédures-baillons, va devoir être retranscrite en France.  C’est aussi une urgence pour remettre le droit au service de la justice, et surtout au service des victimes de violences sexistes et sexuelles. 


Tribune à l’initiative de : 

Marilyn Baldeck, La Collective des Droits [plainte de Mathieu Cahn]

Céline Piques, militante Osez le Féminisme ! [plainte de Girard]

Valentine Rebérioux, avocate Cabinet Pisan



Co-signée par des femmes visées par des procédures-baillons

Nora Arbelbide, bibliothécaire [plainte de PPDA]

Alix Béranger, militante féministe La Barbe [plainte de Girard]

Alice Coffin, conseillère de Paris  [plainte de Girard]

Margot Cauquil-Gleizes, enseignante [plainte de PPDA]

Elen Debost, élue écofeministe [plainte de Baupin]

Clémence De Blasi, journaliste [plainte de PPDA]

Cécile Delarue, journaliste [plainte de PPDA]

Hélène Devynck, autrice [plainte de PPDA]

Justine Ducharne, directrice de communication [plainte de PPDA]

Stéphanie Khayat, journaliste [plainte de PPDA]

Annie Lahmer, élue écologiste [plainte de Baupin]

Sandra Muller, directrice de publication [plainte de Brion]

Isabelle Perraud, vigneronne, porte-parole de Paye Ton Pinard [plainte de Riffaud]

Raphaëlle Rémy-Leleu, conseillère de Paris [plainte de Girard]

Laurence Rossignol, sénatrice [plainte de Piron (Jacquie & Michel)]

Sandrine Rousseau, députée [plainte de Baupin]



(1) Mise en examen de six féministes pour diffamation et injure publique dans l’affaire Christophe Girard

(2) Cass.civ 1, 11 mai 2022, n° 21-16.497

(3) Cass.civ.1, 11 mai 2022, n° 21-16.156

(4) CEDH, 30 juin 2011, req. 30754/03. Cette condamnation, ainsi que la réécriture du délit de dénonciation calomnieuse dans un sens plus protecteur pour les victimes sont le fruit d’une lutte de longue haleine de l’AVFT, soutenue par les associations féministes

(5) Cass.Civ.1ère, 28.09.16, n°15-21823, rendu en matière de harcèlement moral, et depuis appliqué en matière de violences sexuelles 

(6) Les dispositifs de lutte contre les procédures-bâillons https://www.senat.fr/lc/lc312/lc312.html 

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