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La pornographie, système mondial de violation des droits humains

Les récentes mises en examen de pornocrates français pour viols, proxénétisme et traite des êtres humains dévoilent la réalité de la pornographie : un système d’oppression sexiste, raciste et pédocriminel. Reposant sur une idéologie de haine et de déshumanisation des femmes et personnes racisées, la pornographie est l’école et la légitimation des violences systémiques contre elles.

Article. Le 15 décembre 2021, Le Monde titrait « L’enquête tentaculaire qui fait trembler le porno français » (1), dévoilant ce qui préfigure le plus grand procès jamais tenu pour des violences sexistes et sexuelles. Les procédures judiciaires, initiées dès 2020, comptent aujourd’hui plus de vingt « producteurs » et « acteurs » mis en examen pour viols aggravés, proxénétisme, traite des êtres humains ou acte de torture et de barbarie, qui vont faire face à plus de soixante femmes plaignantes que nos associations, Osez le Féminisme !, les Effronté.es et le Mouvement du Nid accompagnent. L’enquête démontre un vaste système de proxénétisme à l’échelle industrielle, dans lequel les femmes sont piégées, rabattues ou séquestrées, violées puis contraintes à des sévices physiques et sexuels extrêmes. Les vidéos des viols sont encore diffusées sur les plateformes pornographiques, sans possibilité effective de retrait.


Proxénétisme et traite à l’échelle industrielle


Les producteurs de pornographie attirent des filles et des femmes dans l’industrie à travers des techniques similaires à celles des proxénètes dans le cadre de la prostitution. En Amérique du Sud, le service d'escorte Zona Divas (2) a ainsi été poursuivi pour la traite d'au moins deux-mille femmes originaires du Venezuela, de la Colombie, d'Argentine, du Costa Rica et du Paraguay. Trompées par une offre d'un emploi pour du mannequinat, ces femmes ont été séquestrées et contraintes (3) de produire des vidéos sexuelles qui ont été mises en ligne sur PornHub. Nombre de ces femmes ont été torturées et tuées. Une victime argentine, Karen, a été droguée et filmée par un consommateur de pornographie. Elle est aujourd'hui décédée et la vidéo se trouve toujours sur XVideos. 

Des femmes et des enfants sont recrutés, transportés, fournis et obtenus pour des actes sexuels, en utilisant plusieurs formes de coercition, y compris la tromperie, l'enlèvement, l'abus d'autorité ou d'une situation de vulnérabilité, et pour lesquels les proxénètes de la pornographie réalisent des bénéfices financiers exorbitants. C’est la définition de la « traite des êtres humains » donnée par le Protocole de Palerme (2000). 

La porosité entre prostitution et pornographie est claire parce qu’elles relèvent toutes deux de l’exploitation sexuelle et de la marchandisation du corps humain, mais aussi parce que tout type de pornographie qui contribue à la demande d’un type de femmes pour les acheteurs d’actes sexuels est susceptible d’attirer l’attention des proxénètes pour répondre à la demande. Lorsque la guerre contre l’Ukraine a été déclarée, les termes « Ukrainian girl » ont figuré parmi les principales recherches sur les sites pornographiques. Et Europol a pu déceler un trafic d’êtres humains de grande échelle, ciblant les réfugiées ukrainiennes (4). 

La pornographie, avec la prostitution, est l’une des principales causes du trafic d’êtres humains. En 2009, sur dix personnes victimes de traite humaine, huit étaient des filles et des femmes (5). 


La pornographie n’est pas du cinéma


L’industrie pornographique organise son impunité en mettant en avant une rhétorique de la libération sexuelle. Rien d’émancipateur pourtant à être violée à répétition et torturée pendant des heures devant des caméras, à subir des sodomies violentes, des doubles pénétrations, des viols collectifs, des coups, des gifles, des étouffements, des jets d'urine et d'autres formes d'humiliation. 

Autre rhétorique entendue : « ce serait du cinéma » et les femmes seraient des « actrices consentantes ». Ces procès nous révèlent pourtant une évidence : la pornographie n’est pas du cinéma, parce que rien n’est simulé. Les actes de violences sexuelles et physiques sont réels, les actes de torture sont réels. Les femmes exploitées sont réelles et subissent stress post traumatique, dépressions, addictions, prolapsus et une mort sociale, par la diffusion incontrôlée des vidéos. 

En 2020, une enquête publiée par le New York Times (6) a mis en évidence la présence sur le site Pornhub de vidéos avec des mineures. Suite à ces révélations, Mastercard et Visa ont bloqué leur accès à Pornhub. Mindgeek, sa maison-mère, est aujourd’hui poursuivie aux Etats-Unis pour trafic sexuel, pédocriminalité et crime organisé (7). 


Une atteinte à la dignité humaine


La pornographie dissimule de nombreuses violations des droits humains. Selon une analyse de contenu réalisée en 2007, près de 90 % des vidéos pornographiques les plus visionnées présentent au moins un acte violent (physique, sexuel ou verbal) contre une femme (8). 

Les conséquences physiques et psychotraumatiques sur les victimes sont souvent invisibilisées, au motif que ces dernières auraient « consenti »=. Pourtant, nul ne peut consentir contractuellement à la violation de son intégrité physique et de sa dignité humaine (9). La dignité humaine est universelle, inviolable et inaliénable (10). Les Etats ont une obligation à la fois positive et négative de prévenir tout ce qui pourrait y porter atteinte. Or, la pornographie porte profondément atteinte à la dignité des victimes, et elle est démultipliée par la diffusion massive des contenus. Beaucoup n’ont même jamais consenti à ce que les vidéos soient publiées. Le contrôle exercé par les plateformes sur la provenance des contenus hébergés est presque inexistant. 

La liberté d’expression, souvent mise en avant pour empêcher la lutte contre les contenus pornographiques, est un droit relatif qui ne saurait s’exercer au détriment des droits fondamentaux.

Les vidéos pornographiques constituent plus d’un quart (27 %) de tout le trafic vidéo en ligne dans le monde (11), et est consommé massivement dès 11 ans. L’audience mensuelle de Pornhub en France s’élevait en 2021 à 7,6 millions de majeurs et 1,6 million de mineurs (12). La société tout entière est façonnée par la pornographie. 

Une autre analyse réalisée en 2018 montre que 90 % des femmes dans ces vidéos réagissent à ces agressions par du plaisir (13). Dans ce contexte, l’exposition à la pornographie renforce la croyance que les femmes sont des objets sexuels et la diffusion de stéréotypes sexistes qui forgent l’identité des filles et des garçons (14) (15) (domination masculine et soumission féminine, notamment). D’où une confusion entre violence et sexualité, souffrance et plaisir, qui rend la lutte contre les violences sexuelles impossibles. De nombreuses catégories de recherches associées à des formes de violences sexuelles (« upskirting », « caméras cachées », « revenge porn », etc.) alimentent la confusion. Cette omniprésence des violences sexuelles et de la culture du viol (16) s’associe à une normalisation de la pédocriminalité et de l’inceste, avec des catégories de recherches comme « teen », « incest », « school girl », « fantasme familial ». Les mises en scène associées laissent croire que l’enfant éprouve du plaisir, ce qui déculpabilise la personne qui visionne. Le Conseil des droits de l’Homme des Nations unies révélait en 2009 que 92 % des pédocriminels condamnés possèdent de la pornographie infantile (17). 


Le racisme au cœur de la pornographie


Il existe aussi une importante composante raciste, dans la pornographie. Le rapport de domination fondé sur la construction sociale de la « race » repose, comme la misogynie, sur une déshumanisation du groupe dominé. La colonisation a donné lieu à la production d’images érotiques et à l’objectification sexuelle des personnes racisées, considérées comme « exotiques » (18). Ainsi, la sexualisation reste une part intégrante de la construction des rapports de pouvoir et de la justification des violences racistes. La pornographie est ainsi saturée de corps racisés dénudés, exhibés, humiliés, fouettés, mutilés, brutalisés et violés. Les personnes sont catégorisées en fonction de leur appartenance ethnique (réelle ou supposée). Il existe des mots clefs comme « Asian », « Black », « Interracial », « Beurette », associés à des clichés dégradants : plus on s’éloigne de la catégorie de l’homme blanc représenté comme dominant et glorieux dans le rapport sexuel, plus les personnes sont violemment humiliées (19). La « Beurette » est présentée comme une « pute » qui tournent dans les caves des cités. Il existe aussi de nombreuses mises en scène d’humiliation de femmes voilées. 


Déshumanisation et érotisation de la violence


La pornographie, dont l’étymologie signifie image de prostituée, a été conçue dès l’origine comme cet instrument d’oppression symbolique et matériel, sexiste et colonial. Sa forme moderne, industrielle, apparaît dans les années 1950 aux Etats-Unis, à l’initiative d'hommes blancs souhaitant capitaliser sur la frustration de la nouvelle classe moyenne de consommateurs, blancs aussi, qui supportent mal les revendications des femmes et des personnes noires. Dans la revue Playboy, puis Hustler, ces pornocrates vont surfer sur la haine sexiste et raciste (et les renforcer), sur les mythes de la culture du viol et du racialisme, en offrant à des millions d’Américains le droit de réifier, de souiller, et de déhumaniser des femmes par procuration (20). 

Ainsi, le mythe de la femme vénale, de la femme castratice, de la femme qu’il faut soumettre par la violence parce qu’au fond « c’est ce qu’elle veut » ; le mythe de la femme pornifiée (provoquante et délurée), de la femme racisée et soumise ; le mythe de ces « fillettes », de ces « écolières » « chaudes », « allumeuses » ; le mythe de l’inceste… Voilà l’idéologie pornocratique depuis cinquante ans. La pornographie est une idéologie fasciste, qui normalise et érotise les violences sexistes, sexuelles, pédocriminelles, racistes, classistes et LGBT-phobes, à une échelle hégémonique. Elle sert de socle au maintien de systèmes de domination basés sur la déshumanisation de certains groupes. En colonisant les inconscients collectifs par son omniprésence, la pornographie est l’école et la légitimation des violences systémiques contre les femmes et les groupes marginalisés. 


Ouvrir les yeux, comprendre et combattre 


Les pornocrates recrutent des proies, des « actrices » parmi toutes celles qui ont été mutilées et conditionnées à l’aliénation par l’inceste, les violences intrafamiliales, les violences conjugales, les viols. Et la boucle est bouclée. Le système d'oppression est complet, puisqu'il repose d’abord sur une idéologie de déshumanisation (violence symbolique), qui rend possibles les oppressions matérielles (violences et discriminations). C’est le continuum des violences. 

L’industrie pornographique est concentrée dans les mains de six grands groupes de cybercriminels en col blanc qui captent, exproprient et ravagent l’intime et l’imaginaire de tous et toutes pour y supplanter une norme sexuelle violente et source d’immense souffrance. En usurpant les notions de sexualité, d’érotisme et de « libération sexuelle », la pornographie génère une société privée de toute possibilité de s’autodéterminer sexuellement, convaincue que les normes sexuelles et les pratiques déployées par les pornocrates sont souhaitables et libératrices. 

Les levées de boucliers contre l’industrie pornographique restent très timides. Pourtant la lutte contre cette industrie est possible, tant elle est concentrée. Nous avons le devoir de protéger les droits humains en luttant activement contre la production et la diffusion de pornographie. Le Parlement européen affirmait déjà, en 1993, cette nécessité (21). De même, le Sénat lie indéfectiblement la pornographie au continuum des violences sexistes et sexuelles à combattre (22). La société doit maintenant ouvrir les yeux et agir. La pornographie constitue un problème public majeur, qui nécessite une prise de conscience urgente et une réponse politique et juridique radicale. 


Alyssa AHRABARE, porte-parole d’Osez le féminisme !, juriste en droit européen et international, Lorraine QUESTIAUX, avocate féministe, Céline PIQUES, représentante d’Osez le féminisme ! au Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes


(3) Selon l’article 4 de la Convention européenne des droits de l’Homme : « 1. Nul ne peut être tenu en esclavage ni en servitude. 2. Nul ne peut être astreint à accomplir un travail forcé ou obligatoire. »

(5) Source : Office des Nations unies contre la drogue et le crime (UNODC) et Organisation internationale du travail (OIT).

(8) « Aggression and Sexual Behavior in Best-Selling Pornography : A Content Analysis Update », étude de R. J. Wosnitzer et A. J. Bridges présentée au 57e congrès annuel de l’International Communication Association à San Francisco, du 24 au 28 mai 2007.

(9) Selon l’article 1 de la Charte des droits fondamentaux de l’UE, 2000 : « La dignité humaine est inviolable. Elle doit être respectée et protégée. » 

(10) Rapport ECLJ « Pornographie et droits de l'homme », 2020.

(11) Rapport du think tank Shift Project sur la sobriété numérique, juillet 2019.

(12) Rapport du Sénat « Porno, l’enfer du décor » du 28 septembre 2022 (www.senat.fr/espace_presse/actualites/202209/la_pornographie_et_son_industrie.html)

(13) P. J. Wright, R. S. Tokunaga et A. Kraus, « A Meta-Analysis of Pornography Consumption and Actual Acts of Sexual Aggression in General Population Studies », in Journal of Communication 66, no. 1 (février 2016): 183- 205. S. Bonino, S. Ciairano, E. Rabagliette et E. Cattelino, « Use of Pornography and SelfReported Engagement in Sexual Violence among Adolescents », in European Journal of Developmental Psychology 3, no. 3 (2006): 265-288.

(14) Recommandation CM/Rec(2019)1 du Comité des ministres aux Etats membres du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre le sexisme, 27 mars 2019.

(15) Rapport « Feminist SEXuality Education », Lobby européen des femmes, juillet 2020.

(16) Dans une méta-analyse de 24 études menées entre 1980 et 1993, sur un total de 4 268 participants, les chercheurs ont établi une corrélation entre l’acceptation du mythe du viol et l’exposition à la pornographie violente ou non violente. (Manning, 2005).

(17) N. M’jid Maalla, « Rapport du Rapporteur spécial sur la vente d’enfants, la prostitution d’enfants et la pornographie impliquant des enfants », A/HRC/12/23, Conseil des droits de l’homme, 2009.

(18) P. Blanchard, N. Bancel, G. Boëtsch, C. Taraud, D. Thomas (dir.), Sexe, Race & Colonies. La domination des corps du XVe siècle à nos jours, La Découverte, 2018.

(19) En violation de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, 1969, article 2. 

(20) Pornland, G. Dines, Editions Libre, 2020.

(21) Résolution sur la pornographie A3-0259/93. 

(22) Voir note 12.

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