« Ce sont les vainqueurs qui écrivent l’histoire » dit-on. C’est bien vrai pour les sorcières, injustement décrites par la société patriarcale comme de vieilles créatures malfaisantes. En réalité, la « chasse aux sorcières », fut, au moment charnière de la Renaissance et de l’avènement du capitalisme, un génocide massif des femmes. Cette terreur et cette « guerre contre les femmes » visait à les déposséder de leurs prérogatives, et à les soumettre et les isoler –une à une- dans leurs foyers.
C’est la thèse brillamment exposée par la marxiste et féministe Sylvia Federici, dans son ouvrage « Caliban et la sorcière ». Pendant la période féodale, les femmes paysannes participent collectivement à l’administration des « communaux » (bois, pâturages, terres), tandis que dans les villes, les femmes étaient présentes dans de nombreuses corporations et même majoritaires dans certaines comme la soie, la laine, le brassage de bière, et bien sûr l’obstétrique. De plus, les savoirs contraceptifs et abortifs (à base d’herbes) et les techniques d’accouchement étaient des savoirs communs féminins transmis de génération en génération. L’accumulation primitive du capital au 16ème et 17ème siècle, sous couvert de rationalisme, impose un ordre nouveau : privatisation des terres (« enclosures ») transformant les paysans en prolétaires, et confinement des femmes à la sphère familiale (travail de reproduction, et travail gratuit et invisibilisé au bénéfice du mari). Le « mercantilisme » déclare que la richesse d’une Nation se mesure au nombre de ses sujets : leur utérus deviennent alors un territoire public, contrôlé par les hommes et par l’Etat, qui punit de la peine de mort l’avortement et en même temps décriminalise le viol (du moins pour les victimes prolétaires). Souvent des sages-femmes, des célibataires, des guérisseuses, des femmes indépendantes ou marginales, sont accusées de cannibalisme et meurtres d’enfants, et d’accouplement avec le diable (rien que ca !). Elles sont torturées et tuées par centaines de milliers à travers l’Europe.
Les « sorcières » étaient les résistantes contre cette nouvelle exploitation brutale et extensive des femmes, s’opposant à la destruction de leurs communautés et de leurs savoirs ancestraux, et défiant le pouvoir de l’Etat et de l’Eglise. Pour Starhawk, qui a écrit « Rêver l’obscur, Femmes, magie et politique », « la fumée des sorcières brûlées est encore dans nos narines (…) elle nous intime de nous considérer comme des entités séparées, isolées, en compétition, aliénées, impuissantes et seules » . Elle propose donc de se nommer sorcière (Soeur-cière !), pour rendre aux femmes le droit d’être puissantes, et même dangereuses. Comme le revendiquaient les féministes italiennes dans les années 70, « Tremate, Tremate, le streghe son tornate ! » (Tremblez, tremblez les sorcières sont de retour !)
Céline Piques
Article paru dans le journal d'Osez le Féminisme ! n°42 , septembre 2016
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